Comment réussir à mener un entretien| le savoir-être 1/2

6 conseils pratiques pour améliorer ton intuition sur les gens

Sandrine Lacout
Welcome to The Family

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Par un concours de circonstances — en réalité parfaitement banales à The Family, comme je m’en rendrais compte plus tard — j’ai mené mes vingts premiers entretiens dans la même journée, sans m’y être vraiment préparée.

Do you speak Sherlock’s language? If so, you might want to read this article in English… It’s right here.

Au départ, beaucoup de choses m’ont amusée. À peine arrivés, certains candidats sortaient un bloc-note et un stylo, prêts à prendre des notes sous la dictée, certains garçons étaient affublés de costumes trop grands tandis que les filles avaient boutonné trop haut leurs chemisiers en soie. Beaucoup avaient préparé un petit discours ou des mots-clés à égrener, censés me plaire. Un vrai ballet de personnes soi-disant extrêmement motivées et répétant sans le savoir les mêmes choses. D’autres encore se sont mis dans des états de stress pas possible, tremblant et suant à grosses gouttes, persuadés d’être en train d’échouer leur entretien, et ça n’a plus été drôle du tout.

Je voulais découvrir la vérité derrière cette comédie qu’on me jouait, et je devais le faire rapidement.

Je comprenais ce qu’était ma première mission : discerner la vraie personnalité du candidat.

Pour cela, mon plan était plutôt simple : faire en sorte que les candidats soient plus sincères — et qu’ils le soient d’eux-mêmes. Malheureusement, il ne suffit pas de dire à quelqu’un “allez, pendant les vingt prochaines minutes, sois franc avec moi s’il te plaît” pour qu’il le soit.

Au cours cette journée, j’ai fait beaucoup d’erreurs en terme de savoir-être, qui me sont apparues après avoir testé différentes attitudes.

Voici les moyens super simples que j’ai découvert pour optimiser les chances que l’on soit sincère avec moi.

I— Casser les repères scolaires

Je pense peu me tromper en disant que peu d’entre nous se sont vraiment épanouis à l’école. Nous avons tous développé des réflexes de survie.

  • Version ancien “bon élève” cela donne : montrer que l’on est quelqu’un de sérieux, qu’on a préparé l’exercice, montrer que l’on sait bien telle ou telle chose mais surtout, surtout, cacher ce qu’on ne sait pas.
  • Version ancien “mauvais élève” c’est plutôt : croire ne rien savoir, être persuadé de ne pas avoir de qualités, dévaloriser son parcours. Bref se saboter soi-même.

Malheureusement, ces mauvais réflexes refont surface quand on passe un entretien, car les candidats voient l’entretien comme un exercice scolaire.

Si tu ne passes pas au-delà de cet écran de fumée, tu risques d’être incapable de connaître vraiment la personne en face de toi, de savoir comment elle s’épanouira dans ta startup (forcément différente de l’école).

Et si ta startup tâtonne encore, tu ne sais peut-être pas quelles tâches vont lui être confiées précisément. Ou bien elles seront amenées à changer. Alors tu aurais tout intérêt à miser moins sur les compétences déjà acquises que sur les aptitudes de ton futur employé à en acquérir de nouvelles.

Bonne nouvelle ! Si tes candidats se comportent comme des élèves, c’est à 70% à cause de toi.

Voilà ce que tu peux faire pour empêcher cela :

1. Ne pas prendre de notes pendant l’entretien

Moi aussi au début, j’ai voulu jouer la bonne élève : j’ai sorti un cahier et pris des notes. Mais je me suis vite aperçue qu’en faisant ça, les candidats ne pouvaient pas s’empêcher d’essayer de lire ce que j’écrivais. Pire, ils s’inquiétaient si je ne prenais pas en notes tel ou tel point qui semblaient capital à leurs yeux. J’ai bien tenté de “mal écrire” mais ensuite, impossible de me relire. Un échec total.

Prendre des notes donne l’impression au candidat qu’il est face à un examinateur, qu’on est en train de le noter, que ce qu’il dit pourra être retenu contre lui. Difficile dans ses conditions pour lui d’être franc.

Je te conseille de prendre des notes APRÈS l’entretien.

🙃 Attends mais moi j’y arriverai jamais, j’ai aucune mémoire. Et si j’enregistrais l’entretien ?

— Je te le déconseille. En plus d’être illégal si tu n’as pas d’autorisation, tu n’arriveras jamais à progresser. Si tu collectes trop d’informations, tu empêches ton intuition d’apprendre à faire le tri toute seule, à faire remonter à ta conscience les points qui seront pertinents pour toi, sur la base desquels elle se fera une “impression” les prochaines fois.

Ces points révélateurs te seront forcément propres. Pour les découvrir, rien de tel que la pratique ou de faire une erreur d’appréciation par exemple. Tu vas te souvenir d’indices oubliés, des bribes de conversation te reviendront en mémoire.
Et crois moi, tu te souviendras efficacement de ce genre de détail à l’avenir…

2. Fermer ton ordinateur

Déjà, personne n’aime parler devant un ordinateur.

Mais surtout, tu ne devrais pas donner l’impression que tu es en train d’égrener une liste de questions ou de cocher une grille d’évaluation, mais que c’est une discussion où tu essaies d’apprendre à connaître le candidat.

Joue à armes égales avec ton candidat, c’est-à-dire sans support.

🎧 Ouais mais si je suis en call vidéo?

— Regarde le plus possible ton candidat, ne glande pas en même temps sur ton ordi — ton candidat le sentira tout de suite.

🎓Et si le candidat me donne un CV ?

— Ne le lis pas, retourne-le. Sinon ton candidat ne le quittera pas des yeux et aura tendance à le réciter.

😨 Non mais quand même, je le sens pas cette méthode. J’ai trop peur d’oublier des questions importantes.

— Libre à toi d’organiser un autre entretien (avec toi ou ton cofondateur) pour les points oubliés.
Pour garder cette marge de manoeuvre, je te conseille de ne pas donner ton assentiment trop vite à la fin de l’entretien. Reste positif mais dis que tu as besoin de réfléchir. Ca te laissera ainsi 2 options : proposer un 2ème entretien ou ne pas donner suite sans avoir à faire marche arrière (ce qui est le plus pénible, à la fois pour toi et pour ton candidat).

3. Rendre cosy le cadre de l’entretien

Lors de ce 1er jour d’entretiens, je suis restée toute la journée dans une salle qui était loin d’être idéale — exiguë, au bout d’un couloir, avec comme seul mobilier quatre chaises aux dossiers perpendiculaires et une table trop longue. J’étais stressée comme si c’était moi qui allait passer à la casserole.

Je me suis rendue compte que le choix du lieu d’un entretien est compliqué et a énormément d’impact sur l’ambiance de l’entretien.

Alors je te conseille d’éviter :

  • les petits espaces clos, qui vont faire penser à un interrogatoire de police.
  • les grands espaces de réunions qui font trop solennel.
  • mais aussi les espaces pas assez intimes, où d’autres personnes risquent d’entendre plus que des bribes de votre conversation. Ton candidat risque se sentir gêné de raconter sa vie au tout venant et préféra édulcorer son discours plutôt que de faire l’effort d’être sincère.

— Ok, donc le lieu idéal n’existe pas…Et plus concrètement ?

😸 Si tu n’as pas le choix, fais de l’humour très rapidement pour détendre l’atmosphère…

🎈Rends évident l’endroit où le candidat est censé s’asseoir et prévois une chaise de plus pour ses affaires. En aucun cas tu ne devrais lui proposer de laisser ses affaires loin de lui et lui rajouter le stress de se faire voler ses affaires.

☕️ Prépare de l’eau et des verres, ou propose un thé ou un café.

II — Diminuer le stress de ton candidat

Pressée par le temps, il m’a traversé l’esprit d’expédier certains entretiens pour rattraper mon retard, notamment avec ceux qui étaient très stressés. Car s’ils étaient déjà stressés maintenant, qu’est-ce que ça serait en startup ?

Mais plus les entretiens s’enchaînaient, et plus j’ai réalisé que presque tous les candidats étaient stressés — je l’avais d’ailleurs très naïvement indiqué dans les notes manuscrites que j’avais prises…

On est toujours au moins 3 en entretien : soi-même, le candidat et son stress. Il est normal que ce dernier soit là mais chercher à le diminuer te fera gagner en temps et en efficacité.

Cela t’aidera plus à obtenir des réponses plus réfléchies, plus personnelles — bref à faire ton travail.

☝️Quand même, je trouve que ça ne présage rien de bon qu’un candidat n’arrive pas à gérer son stress.

— Oui mais je pense pas que tu puisses raisonnablement revendiquer une “culture du stress” dans ta startup. C’est un poison qui affecte les performances de beaucoup de monde.

— Moi ça ne pose pas de problème, je suis toujours gentil avec les gens, je les mets facilement à l’aise.

— 🚩 Attention, je pense que trop diminuer le stress de ton candidat serait une mauvaise idée. Ca peut t’empêcher d’avoir une marge de manoeuvre pour proposer un autre entretien, dans un cadre plus sympa.
Et si tu sympathises trop avec la personne et que tu ne donnes pas de suite positive, il se sentira plus mal que si tu avais été distant. Et toi tu pourras avoir du mal à accepter de retourner ta veste.

1. Commencer en douceur

J’ai testé différentes façons de commencer pour être plus efficace mais il se passait presque toujours un phénomène étrange : les candidats ne répondaient pas vraiment à mes questions, ils choisissaient en quelque sorte d’autres questions auxquelles ils répondaient tout seul.

La raison en était qu’ils avaient le plus souvent préparé en amont un résumé de leur parcours, ou un angle de présentation particulier. Et si je ne les laissais pas le réciter, ils répondaient superficiellement à mes questions et tentaient ensuite coûte que coûte de “caser” des bouts de ce pitch.

Quand j’ai réalisé que presque tous les candidats faisaient cela, je me suis aperçue que ce que j’avais pris pour de l’obstination bête chez les premiers n’était en fait que du stress.

Quels que soient les motifs du candidat — un jeune voudra montrer qu’il a bien préparé l’exercice, un senior cherchera à intimer le respect, ou un autre voudra inciter à être indulgent vis à vis de son parcours qu’il imagine particulièrement “atypique” — , c’est souvent la peur d’être rapidement catalogué qui s’exprime. Le candidat a peur que tu ne le comprennes pas bien en quoi il est différent des autres et il veut te le faire entendre tout de suite. Et tu as tout intérêt à le laisser faire.

Voilà l’ouverture que je te conseille si tu débutes :

  • Si ton candidat arrive essoufflé, prétexte devoir le faire attendre quelques minutes pour faire un truc — tu gagneras plus de temps s’il se concentre d’emblée sur tes questions que s’il cherche à reprendre sa respiration.
  • Pose en premier une question anodine, qui ne sert pas à grand chose, juste pour lui laisser le temps de se calmer quelques instants.
  • En 2ème question, formule-le comme tu veux mais en gros demande à la personne de se présenter rapidement, de façon libre.
  • En 3ème question, demande ce que tu veux mais rien qui pourrait nécessiter de dire des choses négatives, ce serait trop tôt.

2. Donner le tempo

Quand j’ai débuté les entretiens, je n’osais pas imposer mon rythme, je tombais dans le piège de laisser parler librement le candidat. Alors je finissais soit très en retard, soit je meublais péniblement pour les prolonger.
S’il allait trop lentement, je finissais par regarder l’heure et j’accélérais les questions. S’il allait trop vite, je me trouvais prise au dépourvu, n’ayant pas en tête un répertoire de questions.

Dans les deux cas — couper le candidat vers la fin ou finir prématurément un entretien — cela lui donnait le sentiment qu’il avait échoué quelque part.

Le problème d’imposer trop tard ta façon de faire, c’est que le candidat pensera qu’il t’est antipathique et risque de paniquer. Il est moins stressant pour lui de penser que c’est juste ta façon (désagréable) de faire dès le début.

Si comme moi tu ne brilles pas spécialement par ton charisme, lead vraiment l’entretien le plus tôt possible :

  • Invite un candidat à ralentir s’il parle trop vite ou s’il ne prend pas assez le temps de réfléchir, surtout face à une question introspective. Tu y verras plus clair pour te faire un avis, car plus un candidat est stressé, plus il répondra par la première idée qui lui passera par la tête, c’est-à-dire un lieu commun. Le temps que tu as pensé perdre en le faisant ralentir, tu le rattraperas en le coupant plus souvent par la suite.
  • Essaie toi-même de ne pas paraître pressé, ou de donner l’impression au candidat qu’il a un temps imparti. Sinon il risque de stresser de ne pas avoir le temps de s’exprimer et que tu le juges trop vite.
  • Lorsque la réponse du candidat part dans des directions qui ne t’intéressent pas, interromps-le en posant une autre question. Pareil s’il a mal compris la question ou que c’est toi qui n’a pas compris la réponse.

— Je pourrais jamais faire ça, c’est hyper impoli.

— Tant mieux si tu as le temps ! Mais sache que les gens pardonnent plus facilement qu’on les coupe pour approfondir une question plutôt qu’on manque de curiosité à leur égard. Cela montre au moins que tu ne le juges pas trop vite — la grande peur des candidats — et que tu fais ton travail.

3. Faire de l’humour

C’est encore le moyen le plus sûr pour détendre quelqu’un !

Si l’humour est très présent dans ta boîte, c’est même préférable que tu annonces de suite le ton pour voir la réaction de ton candidat.

Comme il est très difficile de faire semblant de rire (notamment pour nous Français), faire de l’humour te permettra d’évaluer l’état de stress de ton candidat.

  • Si tu sens une diminution du stress de ton candidat, bravo ! Il y a fortes probabilités qu’il ait été honnête avec toi, surtout vers la fin.
  • Si tu n’as ressenti aucune variation, tu ne peux pas en être aussi sûr. Peut-être qu’il est resté stressé, ou qu’il a préféré jouer le rôle du mec-qui-passe-un-entretien. Cherche à savoir pourquoi et demande-toi en premier lieu si tu as vraiment mis le candidat dans de bonnes conditions.
T’inquiète pas Sherlock, tu feras mieux la prochaine fois :)

Merci à tous les candidats que j’ai martyrisés pendant mon apprentissage et aux entrepreneurs de The Family de questionner mes conseils 🙏

La suite, Comment réussir à mener un entretien| le savoir-être 2/2

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