🇫🇷 Mission finance à mi-parcours

Alice Zagury
Welcome to The Family
11 min readNov 27, 2017

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Ce matin, avec le député Jean-Noël Barrot, nous rencontrons le Ministre de l’économie et des Finances, Bruno Le Maire et le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux. C’est l’occasion de faire le point, à mi-parcours, sur la mission finance à laquelle nous participons.
L’objectif de ce travail est de rendre rapidement — le 10 décembre, un ensemble de propositions pour améliorer le financement de la croissance des entreprises en France. Cela fait 4 semaines que nous avons démarré.

Comment nous y prenons-nous ?

1) On ouvre.
Nous collectons des idées via un questionnaire ouvert en ligne. 185 propositions ont été soumises. Nous les décortiquons et sélectionnons celles qui nous semblent le plus pertinentes.

2) On Ă©coute.
Nous rencontrons les principaux acteurs publics et privés qui ont un impact direct sur la chaîne du financement :

  • Les rĂ©gulateurs : AMF, Banque de France, ACPR …
  • Des banques et assurances : la Banque EuropĂ©enne d’Investissement, la Banque Publique d’Investissement, la Banque Postale, la SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale, Natixis, Amundi, Euler Hermes, Allianz …
  • Des entrepreneurs du secteur : Alan, Lendix, Yomoni, Anaxago, Wiseed, Bankin …
  • Des acteurs privĂ©s du financement, mĂ©tiers du chiffre, fonds : Euronext, KPMG, EY, IENA Capital, Daphni, Nextstage, Fitch …
  • Des regroupements : AMAFI, FFA, MEDEF, AFIC, METI, CPME …

Nous avons rencontré plus de 80 personnes, individuellement ou en groupe, chaque interview dure au moins 45 min et est suivie d’un rapport écrit par Younes, employé de The Family et preneur de notes de rêve, qui transforme en “bullet points” compréhensibles des discours complexes.
C’est décevant si les interviewés se déplacent uniquement pour défendre leurs intérêts ou se focalisent sur des micro-mesures. C’est enrichissant au contraire, lorsque l’on découvre des photographies macro-économiques de qualité, des expériences vécues, de la connaissance profonde des raisons des freins…

3) On confronte.
On lit beaucoup de notes, d’articles sélectionnés par mes associés Nicolas et Oussama et de rapports… On demande des vues d’ensemble chiffrées à Bercy, pas évident. Heureusement, deux rapporteurs du Trésor sont disponibles pour nous aider. Les problèmes posés vont de paire avec des propositions. Ils évaluent si techniquement c’est faisable et identifient à quel texte de loi ou par quel biais faire passer ces solutions.

Pourquoi est-ce si important ?

Si je participe à cette mission qui prend 80% de mon temps, entre 100% et 30% de quatre personnes sur les 30 de mon équipe, sur 6 semaines, ce n’est pas pour trier et analyser les idées de contributions d’un domaine qu’on ne maîtrise pas.
Si j’y suis, c’est pour engager plus de gens comme moi — entrepreneurs, femmes, non diplômés de l’ENA (…) dans la définition du terrain sur lequel on devrait tous pouvoir jouer.
Sur une note plus personnelle, c’est l’occasion de plonger dans un monde que j’ai trop longtemps refusé d’explorer — par flemme intellectuelle ou un certain mépris inconscient. Je sais que malheureusement, mon cas est une généralité en France… je me dis que s’y j’arrive à m’y coller, n’importe qui le pourra et peut-être même saurais-je le rendre accessible autour de moi… ;)
Enfin, c’est un challenge génial : chercher les mécanismes vertueux à activer pour orienter le financement vers la création de valeur économique et sociale.

Concrètement, quels sont les 1ers constats ?

Je vois deux problèmes :

  • Un problème d’analyse — Il faut le voir pour le croire.
    Si l’on demande à un acteur de s’auto-évaluer, les résultats ne tiennent pas compte des autres options possibles s’il avait fait autrement. Et si l’on s’en tient aux analyses des “tiers de confiance”, l’existant prévaut sur le probable.
    Comment évaluer un manque-à-gagner ? Les comparaisons historiques et internationales sont éclairantes mais insuffisantes. Donc, si le passé n’est pas souhaitable, s’appuyer dessus pour bâtir le futur ne le sera pas non plus. L’imagination suivie du passage à l’action sont, je crois, les seuls alternatives susceptibles de crédibiliser d’autre façons de faire possibles.

Les dictons populaires expriment bien ces idées admises de prudence, de scepticisme et de peur : “un tiens vaut mieux que deux tu l’auras”, “Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué” ou encore “le mieux est l’ennemi du bien”.

  • Un problème sociologique — Une autre France.
    L’écrasante majorité des gens sélectionnés pour leur rôle déterminant, qu’ils soient régulateurs, professionnels des grandes institutions financières ou autre, disons-le simplement : ils se ressemblent beaucoup. Des hommes, diplômés de l’ENA de plus de 60 ans. Ce n’est pas la France, en tous les cas, pas celle que je connais. S’ils sont intelligents ou aimables ? Cela n’est pas la question. L’entre-soi n’a jamais conduit à autre chose qu’à l’autodestruction. Des gens intelligents et prêts à s’engager pour la France, il y en a aussi en dehors de l’ENA.

Résultat ? Une “question technique” ou “déjà fait”.

Plus les gens sont brillants, plus ils sont dans la pédagogie : aux discours jargonneux ils préfèrent des raisonnements accessibles illustrés par des résultats chiffrés.

Mais même eux n’échappent pas aux embuscades technico-lexicales et avalanches d’acronymes — FCPR, Euro PP, UC, PEA, PEA-PME, PERCO, PEL, OPCVM, Bâle III, Solvency II, DSP 2, MIF 2… qui accompagnent des débats de %, de plafonds, d’exceptions accordées à tel secteur, de mesures fiscales ajoutées ici et là.
Maîtriser chacun de ces termes est la condition sine qua non pour tenir la moindre discussion concernant le financement en France. Pourquoi ? Parce que le temps où ces règles, organismes, process ont été mis en place est révolu mais le conservatisme — conséquence directe de l’entre-soi et de l’auto-analyse, s’est renforcé. La complexité technique a ses avantages, elle empêche le moindre renouvellement.
Donc, qu’il y ait un droit avec son langage est une chose, mais que l’accessibilité soit à ce point là douloureuse en est une autre. Qu’il y ait des exceptions dans la fiscalité, ok, que la France soit la championne en Europe des niches fiscales, (450 quand l’Allemagne en a moins de 80) est néfaste. Maintenir cette complexité ne tient que de notre volonté.

Si l’on veut que le financement de la croissance reste un débat d’avocats ou de lobbyistes, qu’on ne s’étonne pas que l’entrepreneur qui réussit évite toute relation avec l’Etat, que les monopoles maintiennent des expériences clients obsolètes ou que les français développent une phobie administrative.

Lorsque que le blocage n’est pas technique et que le bon sens laisse place à une solution claire, “C’est déjà fait”.
- Un simulateur simplifié et accessible pour calculer ses impôts ? C’est fait.
Sauf que 1) cette page est un enfer et 2) ça ne permet pas de passer simplement d’un scénario à l’autre. Là, on est dans un problème de culture de l’exécution. Ce qui est “fait” l’est effectivement quand c’est au service d’un but précis, c’est aussi testé, utilisé, compris, partagé, en amélioration constante. En l’occurrence, cet exemple suscite une autre question : si les données de l’ensemble des cas étaient mises à jour et accessibles, d’autres acteurs pourraient créer des simulateurs (aujourd’hui, le seul qui soit fiable est Boursorama et c’est grâce à une expertise humaine en interne bâtie depuis 1995).

Un framework pour transformer la volonté politique en applications cohérentes et concrètes.
La vision générale du Président est en ligne — demandez le programme !
Donc, avant de rentrer directement dans chaque proposition avec Jean-Noël, avant de descendre avec joie (…) la liste des problèmes, comment s’assurer que tous ces efforts suivent une même direction ? Voici le “framework” qui pourrait selon nous donner des règles à l’exercice, en trois étapes :

(1) SIMPLIFIER
DĂ©flation des textes.
Usage d’un langage accessible et mise en forme intentionnellement agréable.

(2) RESPONSABILISER
Transparence des données.
Communication et confiance accordée aux acteurs de la société civile.

(3) OSER
Partage des objectifs comme des résultats.
Proposition concrète qui encourage d’autres initiatives de création de valeur.

Zoom sur un problème : l’accord du crédit aux entreprises

Le crédit est clairement disponible…

Globalement, les entreprises n’ont aucun problème à trouver du crédit, aux dires de la majorité des acteurs que nous rencontrons. Ils justifient cela par un ensemble d’indicateurs, qui prouvent que les voyants sont au vert :

  • La BCE pratique le Quantitative Easing depuis 2015 ( techniquement, une injection de liquiditĂ©s en euros dans l’économie) et les taux de l’EURIBOR — taux d’intĂ©rĂŞt interbancaire europĂ©en, j’ai fini par me mettre au jargon ;) — sont nĂ©gatifs. Toute cette politique est censĂ©e avoir un impact direct au niveau macroĂ©conomique : les banques commerciales sont incitĂ©es Ă  prĂŞter.
  • Un des reprĂ©sentants des ETI que j’ai rencontrĂ© m’a dit texto que ces entreprises n’avaient aucun problème pour accĂ©der au crĂ©dit, de court ou long-terme.
  • Hier matin, Les Echos relaient l’actualitĂ© de la Banque Postale qui se dit “embarrassĂ©e”: dĂ©sormais l’argent du Livret A n’est plus gĂ©rĂ© de manière centralisĂ©e Ă  la Caisse des DĂ©pĂ´ts. La Banque Postale va donc devoir placer 75% des 27 milliards d’euros de livret A dans des entreprises. Or elle peine dĂ©jĂ  Ă  offrir en crĂ©dit les 14 milliards Ă  de personnes morales, d’ailleurs elle les accorde majoritairement Ă  des collectivitĂ©s locales. Conclusion : les entreprises n’ont pas besoin de financement en crĂ©dit.
  • Le rapport Villeroy de Galhau de 2015 explore le financement en profondeur. Dès les premières pages, on peut lire que “(…) En France, les chiffres du crĂ©dit bancaire sont globalement bons : + 7 % de croissance cumulĂ©e depuis fin 2008 et + 28 % avec les financements de marchĂ© ; des taux parmi les plus bas d’Europe. Pour autant, des critiques s’expriment toujours de la part de beaucoup d’entreprises. Les banques doivent les prendre au sĂ©rieux, et agir rĂ©solument pour sortir de ce malentendu persistant.”

… pour certains seulement.

Alors, ce n’est pas qu’un “malentendu”. C’est un décalage qui mérite un peu d’attention, un problème que je constate tous les jours avec les entreprises accompagnées à The Family. Juste sur le mois dernier, voici trois cas d’entrepreneurs qui se sont vus refuser l’accès au crédit bancaire en France :

  • Le premier cas concerne un ancien associĂ© d’un grand cabinet d’audit. Pour lancer sa nouvelle entreprise de conseil, sa banque — privĂ©e, a refusĂ© de lui prĂŞter 500 000 euros, Ă  moins qu’il ne les cautionne personnellement. On parle d’une personne qui a eu une carrière brillante dans le privĂ©, gĂ©nĂ©rĂ© des millions de revenu et fait passer des entreprises de 2 Ă  2 000 employĂ©s.
  • Le second concerne une jeune entrepreneuse qui distribue des produits alimentaires. Son processus de production est industriel et nĂ©cessite l’usage de machines. Aujourd’hui, elle tourne Ă  plein rĂ©gime. Elle est en croissance et refuse des commandes, faute de machines disponibles. Elle a cherche donc Ă  financer de nouvelles machines pour rĂ©pondre Ă  la demande. Problème : les banques refusent de lui accorder un crĂ©dit-bail car elles “ne croient pas” que la croissance engendrĂ©e permettra de supporter le remboursement du crĂ©dit, bien que ses chiffres prouvent le contraire.
  • Et mon prĂ©fĂ©ré… c’est l’histoire de deux jeunes noirs, de banlieue. Oula, cette histoire va piquer. Ils veulent crĂ©er une application de gaming.
    - Etape 1: Pas de business plan, pas d’argent. Ils vont voir BPIfrance pour demander une aide à l’amorçage, sauf qu’ils n’ont pas de business plan. À quoi bon inventer des projections sur plusieurs années quand il est déjà difficile de savoir à quoi ressemblera l’entreprise dans 3 mois ? À la BPI, c’est une formalité exigée et une cause de refus d’accorder une aide.
    - Etape 2: Heureux les malheureux. Ils se débrouillent pour lancer leur application avec les moyens du bord. Et ça marche ! Le nombre d’utilisateurs ne cesse d’augmenter.
    - Etape 3 : Y croire encore. Après quelques mois, ils aimeraient faire des tests de publicité pour acquérir plus de clients, ils estiment leur besoin à 40 000 euros. Ils parviennent à dégager 20 000 euros de leur activité et vont voir des banques demander un crédit des 20 000 euros restants. Malgré le business en croissance et des marges exceptionnelles, aucune banque n’accepte de leur prêter d’argent. Ils n’ont “pas le profil”.
    - Etape 4 : Pigeons du système D. Ils décident de prendre en leur nom des crédits à la consommation chez SOFINCO pour rassembler la somme. En 4 mois, les 40 000 euros investis rapportent 80 000 euros et permettent d’optimiser les canaux d’acquisition. Ils remboursent le crédit à la consommation au un taux d’intérêt élevé et ré-investissent le reste de la somme gagnée.
    - Etape 5 : Tssssss. Constatant que leur produit ET leurs expériences de croissance marchent bien, ils retournent voir la BPI, préparés cette fois-ci — avec un Business Plan honnête puisque fondé sur un business model approuvé ! Et la réponse est…?
    Non. La banque ne peut rien faire et “ne supporte pas ce profil de risque”.
    - Etape 6 : Sans rancune. L’application compte aujourd’hui 300 000 utilisateurs, fait plus de 15% de croissance et dégage 150 000 euros de profit chaque mois.

Un riche consultant, une entrepreneuse et deux renois entrent dans une banque en France… c’est le début d’une bonne blague.

Pour conclure, le potentiel de ces entrepreneurs est tué avant de pouvoir être compté dans les statistiques. Ils sont invisibles parce qu’ils ne passent pas, ils restent bloqués avant l’accès au crédit.

Comment libérer le potentiel de cette masse invisible via l’un des outils du financement qu’est le crédit ? Tout en appliquant notre framework ;)
Il y a plusieurs sujets qui viennent impacter ce problème : monopole des banques, rôle de l’argent publique, scoring et évaluation du risque, données bancaires… Dans le cadre de la mission, il s’agit de se concentrer sur chacun d’entre eux, évaluer son aspect “normatif”, c’est à dire à la chose à changer dans le logiciel du régulateur.

Des idées ?

La suite dans le prochain Ă©pisode.

…Et pour le plaisir de partager encore un peu plus de cette plongée dans FinanceLand, le sketch des Inconnus résume à peu près tout ;p

https://www.youtube.com/watch?v=XbIaW_ZdJ0g

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